Dragon’s Lair, vu par Master Eegbor
On 20 mai 2024 by GBDB StandardDe Monet à Freud, Dragon’s Lair, une ode graphique en 160 par 144 au sadisme et au plagiat
Non mais qu’est ce que c’est encore que ce titre ? Encore de la masturbation intellectuelle ? Tout ça pour un pauvre jeu Gameboy ? Eegbor a encore abusé du cidre fermier ? La vérité se trouve certainement à l’intersection de toutes ces questions, mais Guigui48 m’ayant défié de prendre la plume, je m’exécute. Fallait pas me chercher, tu vois. Il est beau le résultat. Je fais rien que des bêtises (si tu as la référence, c’est inquiétant).
Enchanté !
Dragon’s Lair. « Sullivan Bluth presents Dragon’s lair The Legend » pour être plus précis. Enorme succès en salle d’arcade au début des années 80, Dragon’s Lair a eu l’honneur en 1991 d’un portage sur notre si chère DMG. Les puristes (Gameboy Database Team, je t’aime) l’appelleront DMG-DL, je lui ajouterais un petit FAH suivi d’un 11221 pour faire honneur à cette boite de jeu qui a rejoint, à l’occasion d’un 13ème anniversaire, ma collection en aout 1992. Mais qu’est ce que DMG-DL, qui es tu ?
Dragon’s Lair, la génèse
Je ne vais pas vous refaire l’intégrale de l’histoire de Dragon’s Lair. Il doit y avoir sur le web des dizaines d’articles ou de videos sur la genèse de ce titre, expliquant comment a été réalisé ce jeu d’arcade interactif qui a révolutionné les salles d’arcade en 1983, etc…
Mais dans la mesure où le titre sur la boite du jeu Gameboy évoque clairement un certain « Sullivan Bluth », il me parait important de passer un peu de temps sur qui est cet homme ! En fait, ce n’est pas un homme (et encore moins une femme. Ni même une personne agenrée…). Sullivan Bluth, c’est en fait un studio, « Sullivan Bluth Studios », né de la rencontre d’au moins deux person nes : Don Bluth et Morris Sullivan. Le premier est un artiste, un animateur, ancien de chez Disney. C’est lui qui était à la direction des fantastiques planches qui ont permis de créer le célèbre jeu vidéo interactif. Et Maurice (pardon, Morris) ? Lui, c’était le businessman avec lequel s’est acoquiné Don. Car déjà à l’époque, sans argent, compliqué de monter un business. Vous constaterez que le sieur Morris Sullivan a eu le bon gout de mettre son nom en avant dans le nom du studio, bien devant le créatif de la bande. Mais soit, passons… Surtout que quelques années plus tard, peu après la sortie du jeu sur Gameboy, Don a pris sa revanche, et le studio a changé de nom pour redevenir « Don Bluth Ireland Limited ». A quelques mois près, le jeu aurait pu s’appeler « Don Bluth presents Dragon’s Lair the Legend ». Incroyable non ? Non… en fait on s’en fout un peu, on est d’accord.
Quand Dragon’s Lair rencontre les 8Ko de RAM de la Gameboy… il plagie !
Alors évidemment, reproduire sur notre chère DMG un film interactif eut été un doux rêve… mais comme tout rêve, il ne peut trouver de réalité dans les limites froidement rationnelles et physiques de notre monde. Alors les petits gars de chez Elite Systems à qui a été confiée la lourde de tache de réaliser le jeu sur la portable de Gunpei se sont vite trouvés confrontés à une dure réalité : point de dessin animé interactif possible, ils allaient devoir repenser un tout autre jeu. Et la solution qu’ils ont alors trouvée a été aussi simple qu’un politicien face à la feuille blanche de son futur programme électoral : ils ont plagié !!
Eh oui, Dragon’s Lair, sur Gameboy, n’est ni plus ni moins qu’un vulgaire plagiat. Alors attention, pour les plus jeunes de nos lecteurs, bercés à la vidéo approximative et prédigérée de certains staryoutubeurs, la référence va vous paraitre obscure!
Je disais donc, Dragon’s Lair sur Gameboy n’est qu’un plagiat d’un jeu sorti quelques années plus tôt (1985) sur ZX Spectrum. Et ce jeu il s’appelle Roller Coaster !!! Roller Coaster, dans la langue de Jean-Baptiste POQUELIN, ca veut dire « Parc d’attraction ». Le joueur dans ce jeu devait ainsi de se balader dans un parc d’attraction aux couleurs psychédéliques dignes d’un décollage de trip au LSD après redescente d’ayahuasca. En se baladant, le joueur devait récupérer des… « trucs »… jusqu’à tous les avoir. Et là-dessus, si l’on compare Roller Coaster et Dragon’s Lair sur Game Boy, la principe d’un plateformeur par tableaux, le level design, le positionnement des pièces dans les différents tableaux, le positionnement des sauts : tout est strictement identique !!!!!! Et ca explique d’ailleurs le level design parfois un peu étrange de certains tableaux du jeu. Quand on sait que les scarabées tournants d’un des premiers tableaux du jeu étaient à l’origine une grande roue tournante, ca fait subitement sens.
Plagiat, dites vous ?? En fait, pas tout à fait. En effet, le terme est mal choisi, car ce jeu, Roller Coaster, a en fait été réalisé par Elite Systems (les mêmes petits gars, donc). Nos amis se sont simplement contentés de revamper un jeu qu’il y avait déjà développé quelques années auparavant, en retravaillant l’enrobage graphique. Ainsi que la musique et les sons… heureusement la musique et les sons. Car ceux du jeu original sont une horreur… ne… pas… me… crever les… tympans… non…
Du Monet en 23 040 points !
Ok, ok, donc le jeu n’est qu’une repompe d’un vieux titre. Soit. Mais alors, s’il y a un point sur lequel cette version Game Boy de Dragon’s Lair est monstrueuse, c’et bien sur les graphismes. Ce qui va suivre est hautement subjectif, mais je le dis haut et fort : Dragon’s Lair est le plus beau jeu sorti sur Game Boy. Voilà, je l’ai dit ! Vous avez le droit de ne pas être d’accord (et donc d’être dans l’erreur), mais comment ne pas fondre devant ces graphismes ??
Le jeu nous emmène dans une telle diversité d’ambiances visuelles, à chaque fois portées par des dessins d’une finesse plutôt incroyable pour l’époque. Que ce soit les scènes bucoliques à dos de scarabées volants, la vadrouille au milieu de maisons cachées dans les troncs d’une forêt touffue, la taverne de pirate et ses instruments de torture, les cavernes sombres et inquiétantes, les paysages de haute montagne à dos d’aigle ou encore le parcours en chariot au milieu de décors égyptionisants, tout est d’une incroyable finesse. Le jeu de lumières donne une profondeur aux décors jamais vue sur Gameboy. Les détails pullulent. Ado, je me souviens d’avoir passer des heures à simplement scruterces décors.
Alors certes, on reste sur un écran de Game Boy, ca tient plus du pointillisme d’un MONET que du photoréalisme d’un Richard ESTES, et d’aucun retorquera qu’un Turtles 3 a les plus gros pixels ou qu’un Link’s Awakening l’univers graphique le plus complet. Soit. Mais on parle de choux et de carottes. De goûts et de couleurs.
Et la vraie question qui se pose au final, c’est comment avec si peu de pixels et seulement quatre nuances de gris les graphistes de ce jeu ont pu retranscrire une telle diversité d’ambiances et une telle profondeur graphique. Et là, je pense que l’on peut parler d’art. Tout simplement. Pas de pixel art, non. D’Art.
Freud et Super Meat Boy sont dans un bateau
Loin de moi l’idée de vouloir faire au travers de ce papier un « test » de ce jeu (le principe même du test est, pour moi, un échec par principe, tant la perception que l’on a d’un jeu et la restitution que l’on en fait, sont personnelles, subjectives et par nature imparfaites. Tout au mieux, la restitution faite trouvera écho chez une partie des lecteurs. Et elle laissera l’autre partie sur le triste chemin d’un désaccord, voire d’une incompréhension). Ce que je veux ici faire, c’est partager une série de sentiments et de convictions à l’égard de ce jeu qui a bercé nombre de mes soirées. Et une des convictions que je voulais porter ici haut et fort (encore), c’est : Dragon’s Lair est une délicieuse experience sado-masochiste (sadique ou masochiste, en fonction du côté du fouet on l’on se trouve).
Si j’en crois Freud, les mecs d’Elite Systems ont dû dans leur jeunesse être victime d’experiences traumatisantes, qui s’est traduit début des années 90 par un besoin pathologique de combiner dans une cartouche une série de d’expériences punitives. Le timing des sauts doit être maitrisé à la perfection. La position de chacune des 194 pierres connues parfaitement.Les décors offrent de fourbes pièges invisibles à l’œil nu. On ne va pas se mentir, terminer Dragon’s Lair est un véritable challenge. Et les dix vies offertes en début de partie ont vite fait de fondre, comme Bitcoin au soleil.
Et si j’en crois toujours ce cher Freud, j’ai (en tant que masochiste aimant ce jeu) du avoir un problème dans ma prime jeunesse (Exolon sur CPC6128 ?). A priori, vu que Freud nous dit dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle que « Un sadique est toujours en même temps un masochiste », je devrais peut-être prévenir mon entourage de la situation risquée dans laquelle ils vivent. Car OUI, j’adore ce jeu. Donc OUI, je suis masochiste. Et a priori OUI, je suis un sadique. Et tout ça, je l’ai découvert grâce à une simple cartouche. Mine de rien ça fait de sacrées économies en heures de psychanalyse tout ça. Merci Elite !
Certes, chaque année, lorsque j’insère cette cartouche dans ma vieille DMG pour ma traditionnelle Madeleine de Proust, je le déteste, je le conspue, je l’abhorre, ce jeu. Mais au final, je l’aime. Et même s’il ne l’assume certainement pas totalement à la vue de sa (comme d’habitude fantastique mais pour une fois injuste) vidéo dédiée au jeu objet de cet article, je suis certain que ce cher Joueur du Grenier a pris un plaisir coupable à mener Dirk dans les quelques plateaux.
Après nous sommes d’accord, l’histoire du jeu hardcore n’a pas commencé avec Dragon’s Lair sur Gameboy. Les Ghost’n Goblin ou Dragon’s Lair Arcade (tiens, tiens,…) l’ont précédé, et le succès rencontré par les jeux de From Software me font dire que le masochisme vidéoludique a encore de beau jour devant lui (ne me parlez pas de Cup Head, qui est au hardcore game ce qu’est Valérie Pecresse à une élection présidentielle). Mais Dragon’s Lair sur Gameboy est une belle tranche du hardcore game, une experience coupable au plaisir sans cesse renouvelé.
Je vais même aller plus loin dans mon propos : Dragon’s Lair est l’ancêtre du hardcore plateformer, et le digne père de notamment Super Meat Boy ! Super Meat Boy, sa suite, les niveaux « fanmade » de Super Mario Maker ou le jouissif Trap Adventure 2 n’ont absolument rien inventé ! Ils ne font que décliner avec les moyens technologiques actuels un concept qui a été posé par les petits gars d’Elite System au tout début des années 90 : un jeu exigeant, ne tolérant pas la moindre erreur, faisant la part belle à un die & retryextrême, mais au final un jeu juste, nous poussons dans nos retranchements, vers une maitrise de soi.
La quête
Et les plus courageux qui ont réussi à regrouper les 194 morceaux de la Pierre de Vie nécessaires pour éveiller ce soldat endormi pourront en témoigner (Sorry Xav*) : quelle fierté une fois l’aventure terminée de voir s’afficher ce magnifique écran de remerciement, cadeau bien frugal après tant d’énergies offertes. Frugal, c’est vrai. Mais le plaisir d’un Dragon’s Lair ne tient pas dans la cinématique de fin, mais plutôt dans l’expérience exigeante qu’il aura procuré. Comme le dit un normand célèbre, le plus important, ce n’est pas le chemin, mais la quête.
Eegbor
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