Rencontre avec Eric Caen, fondateur de Titus
On 20 mai 2024 by GBDB StandardDans le cadre de mes recherches sur Titus, j’ai réussi à rentrer en contact avec Eric Caen. Peu avare de son temps, ce dernier a discuté avec moi et m’a autorisé à lui poser quelques questions sur son histoire avec Titus. La team Game Boy Database le remercie pour sa disponibilité et ses réponses.
Eric, bonjour. Quelques mots pour vous présenter ?
Eric Caen 56 ans, autodidacte. Aujourd’hui, Chief Digital Officer du groupe Crédit Agricole depuis 2020. Co-fondateur de Titus Interactive (avec mon frère Hervé) en 1985, et Gil Espèche.
Tout d’abord, vous êtes le fondateur (ou un des fondateurs ?) de l’entreprise Titus. Comment s’est-elle créée ? Pourquoi le nom Titus ? Une anecdote particulière ?
Nous avons tout d’abord créé EH Services, pour faire des projets de jeux vidéo pour les éditeurs du moment (Thomson, Matra, Nathan, Infogrames…) , et puis nous avons lancé nos propres jeux, dont un des premiers succès fut Crazy Cars. Titus était mon surnom quand j’étais petit, à cause de la série télé pour enfant des années 70: Titus le petit lion, que j’adorais…Mais c’est aussi le seul empereur romain mort « de sa belle mort », et la coiffure de Napoléon !
Au tout début, Titus a développé pour les systèmes Micro (Amiga, St,..). Comment vous-êtes vous lancé sur le marché des consoles ? Avez-vous été sollicités par Nintendo ou autre, ou au contraire vous leur avez proposé des titres ?
Nous étions fan de Mario ! (Et je le suis toujours). Nous avons acheté la licence de Blues Brothers et Hervé est allé voir Nintendo à Seattle puis à Kyoto pour qu’ils acceptent que l’on fasse un jeu avec cette licence sur la NES. Ce que j’ai codé (avec feu Christophe Gayraud), et cela a lancé notre carrière de jeux pour consoles.
Pour en revenir au micro, vous aviez développé l’excellent « Les aventures de Moktar » sorti sur ces machines, par la suite, pour des questions d’import, vous avez adapté et transformé le jeu sur Game Boy en « Titus the Fox ». Mais pour la version française, pourquoi ne pas avoir gardé Lagaf en personnage ?
C’est le producteur de l’époque de Lagaf’ qui nous a contacté l’année suivant « bo le lavabo », car il préparait une nouvelle chanson « la zoubida » et aurait bien aimé voir un jeu vidéo sortir dans la foulée… Cela posait le problème du positionnement du jeu en dehors de France, où Vincent Lagaf’ n’était pas connu. Nous avons eu l’idée de transformer de le personnage de Moktar en Titus the Fox, notre logo, et bien sur la zoubida en Foxy, la renarde dont Titus est amoureux… il faut regarder le clip de la chanson de lagaf pour voir de temps en temps en image de fond certaines images qui ont servi au jeu, et dessinée par Florent Moreau, qui était le directeur artistique de Titus, juste pour le clip…
En parlant d’export, une entreprise française perçant le marché américain, et récupérant même les droits d’une licence d’un film d’Universal Pictures (Blues Brothers), c’est une énorme réussite ! Comment expliquer la chose alors qu’Ocean rafflait la mise sur toutes les adaptations de films ? D’ailleurs, il est interessant de voir que vous avez développé la suite « blues brothers jukebox adventures », et qui curieusement n’a pas été distribuée aux USA !!!
Nous avions décidé de privilégier les films cultes, donc de ne pas prendre de risque sur des nouveautés… d’où les licences 10 ou 15 ans après les films comme Blues Brothers, Top Gun, Superman et plus tard Robocop… Ocean achetait à prix d’or des licences de films nouveaux mais n’avait pas assez de temps pour faire des bons jeux, et donc notre réussite était peut-être plus facile… Mais il nous est arrivé de faire aussi vite, et parfois cela a donné des jeux intéressants comme Un Indien dans la Ville (moins de 6 mois de développement), et Quest for Camelot qui fut un énorme challenge car Nintendo signant la distribution, nous avons eu que 7 mois de developpement… car ensuite Zelda arrivait sur la GBC. Le jeu était malgré tout très sympa.
Les équipes qui travaillaient sur le développement Game Boy étaient composées de combien de membres ? Comment travaillaient-ils ? des anecdotes sur le développement GB ?
Au max, nous avions 3 codeurs GB (langage assembleur 8bits Z80), et trois graphistes. Le plus compliqué était de faire rentrer les jeux dans les contraintes de puissance et de taille du GB… Et le pire était le cable gamelink, qui était très lent, et qui avait un bug conceptuel qui donnait une donnée fausse toutes les 20 ou 30s… et donc nous devions avoir un protocole résilient pour gérer le fait que de temps en temps la donnée échangée pouvait être fausse… C’est dans Titus the Fox, que j’ai réussi à stabiliser le protocole après y avoir passé des nuits entières. Je me souviens encore du protocole. 4 octets pour un nominal ! Car l’octet faux pouvait arriver n’importe quand.
Que pensez vous du jeu video aujourd’hui ? Interessant, ou manque de créativité ?
Il y a toujours beaucoup de créativité sur les smartphone, et dans le monde indie sur console… beaucoup moins chez les gros éditeurs car les risques sont énormes.
Des anecdotes éventuelles sur les jeux suivants : Titus the fox, Blues Brothers, Prehistorik Man, Superman, Un Indien dans la ville,… ?
Superman était sans doute mieux réussi sur GB que sur la N64 ! Le jeu à deux sur Titus the Fox a été un précurseur des courses avec un mode ghost. Pour la plupart de ces jeux nous avions développé un super logiciel éditeur de map, nommé Edimap qui nous permettait de créer des maps pour chaque console, super vite. Je suis preneur si quelqu’un l’a qui fonctionne encore !
Quand Nintendo nous a annoncé la GBC, j’avais anticipé comment les écrans pouvaient passer en couleur, et comme nous étions en train de créer Quest for Camelot, j’ai demandé à nos graphistes de “passer” les maps en couleurs et je suis aller voir Nintendo avec des impressions laser en couleurs… Et comme Zelda était en retard, on a fait le deal. Et ils en ont vendu énormément. Pour faire le jeu très vite, nous avons bossé dessus avec Hervé Trisson, 7 jours sur 7 pendant des mois, et Nintendo nous a même envoyé leur meilleur testeur de Seattle à Saint Thibault des Vignes en Seine et Marne, pendant 3 semaines pour accélérer la réduction du nombre de bugs. Énorme expérience !
Une dernière question. Votre avis sur la Game Boy, sur le retrogaming, sur ces années d’or de l’immersion du JV… ?
Époque assez dingue quand on pense à tout ce que l’on a créé aussi rapidement, et comment cette industrie a influencé la pop culture, et préparé l’avènement des smartPhone… Savoir travailler avec des contraintes importantes, permet de cultiver sa propre adaptation… Beaucoup de créateurs de jeux ont très bien continué dans cette industrie, ou d’autres comme moi dans d’autres industries: McDonald’s, CMA CGM, Crédit Agricole.
Propos recueillis par Guigui48
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